Même pour les matchs des Bleus, les Français
sont moins scotchés à leur télévision que les téléspectateurs d'autres pays,
avec des parts d'audience nettement moindres, reflet d'un certain recul de la
ferveur du ballon rond.
Lundi, le match France-Nigeria a rassemblé 16 millions de téléspectateurs
sur TF1, avec 70% de part d'audience, contre 28,21 millions d'Allemands devant
leur téléviseur et 85,1% de part de marché pour Allemagne-Algérie.
Lors du premier match de leur équipe nationale, 82% des téléspectateurs
italiens, 81,7% des Allemands ou 79,3% des téléspectateurs néerlandais ont
regardé le match. La France, elle, affichait 56,3% de part d'audience pour son
premier match face au Honduras et 62% pour France-Suisse comme pour
France-Equateur.
"La France n'est pas un pays de forte tradition footballistique", "en
France, on n'est pas assez fadas de foot", remarquent plusieurs analystes.
Les audiences pourraient pâtir de la mauvaise image de l'équipe nationale
depuis quelques années, et du désamour dont souffrent les Bleus depuis la
fameuse grève du bus de Knysna en 2010.
"La Coupe du Monde n'est pas qu'une manifestation de foot, mais une grande
foire à l'identité nationale", explique le sociologue Albrecht Sonntag, auteur
des "Identités du football européen".
"Après l'affaire des quotas (NDLR: une discrimination envisagée contre les
binationaux), la polémique sur les footballeurs trop bien payés, et le Mondial
de 2010, le football français sort de quatre années très négatives",
souligne-t-il.
"Nous ne sommes pas portés par des résultats qui provoqueraient une
assiduité plus grande", déplore également Vincent Rousselet-Blanc, auteur du
blog "En Pleine Lucarne", qui suit l'actualité du sport dans les médias.
Opposant l'Hexagone à des pays sud-américains, ou à l'Italie et l'Espagne,
l'expert estime que les Français réclament du score: "l'Italie n'aurait pas les
mêmes résultats, les Italiens seraient quand même derrière leur équipe, c'est
une religion chez eux".
"Dans les pays latins, comme les pays sud-américains ou l'Italie,
prédisposés à être des fans, des adorateurs, la ferveur ne retombe jamais,
c'est toujours passionnel", poursuit-il.
Pour Christian Bromberger, ethnologue, auteur de "Match de football,
ethnologie d'une passion partisane à Marseille, Naples et Turin", la France,
"vieux pays jacobin unifié", a manqué d'antagonismes: "il n'y a pas de derby
(NDLR: de choc entre deux équipes de la même ville), contrairement à d'autres
pays, et ces clivages viennent nourrir la culture du football".
Un avis partagé par Ludovic Lestrelin, auteur de "L'autre public des matchs
de football": "L'identité régionale et locale est moins prononcée en France, et
quand le supportérisme de club n'est pas puissant, il ne rejaillit pas au
niveau national", analyse-t-il.
Les analystes estiment que le football souffre aussi d'un "défaut de
valorisation en France" et "d'un mépris intellectuel et social, qu'il n'y a pas
dans d'autres pays".
"Les classes aisées ont longtemps regardé le foot avec un certain dédain.
Regardez, en 1998, les tentatives désespérées des intellectuels qui ont essayé
de monter dans le train en marche...!", fait observer Albrecht Sonntag.
Le phénomène se serait "un peu estompé" depuis les années 1980 selon les
spécialistes, mais le football resterait quand même "l'amusement du peuple".
Même s'il reconnaît que le public français s'est beaucoup féminisé depuis
1998, Christian Bromberger estime qu'"en France, l'intérêt pour le football est
très fortement sexué ; dans d'autres pays, la participation est beaucoup plus
familiale".
"Les commentateurs sportifs de TF1 feraient rire ailleurs, tant ils
rappellent des trucs de base... Ils savent qu'ils ont affaire à un public qui
n'a pas été à l'école du foot", s'amuse Albrecht Sonntag.
Pour le sociologue, "les Français ont une prudence terrible avant de
s'enflammer: ils ont une soif terrible d'une bonne nouvelle et une trouille
bleue d'être déçus à nouveau".
"Aujourd'hui on a un peu d'espoir, mais ça n'est pas le gros délire, mais
souvenez-vous, en 1998, au départ, il n'y avait pas d'engouement pour l'Equipe
de France non plus !", rappelle Vincent Rousselet-Blanc, s'exprimant avant la
qualification de la France pour les quarts de finale, pour des retrouvailles
avec l'Allemagne.
(AFP)
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